Paris, le 26 octobre 2022
Présidentes et Présidents de groupes
Assemblée Nationale
Référence : SG/14/22
Objet : Usurpations d’identité et vente de résultats favorables :
il faut stopper la fraude dans le permis de conduire, et non la développer !
Madame la Présidente, Monsieur le Président,
Le permis de conduire constitue un enjeu majeur en matière de mobilité, d'insertion sociale et de sécurité pour tous les citoyens, notamment les plus jeunes.
Historiquement assurée par le ministère des transports, la politique de Sécurité routière a été transférée au ministère de l’Intérieur (MI), par étapes, à partir de 2010.
En 2013, le MI adoptait, à dessein, l’indicateur de performance « délais d’attente » pour le programme « Sécurité et éducation routières ». S’il ne mesure en rien l’efficacité du service public des examens du permis de conduire (nous pouvons le démontrer), cet indicateur est en revanche l’outil idéal pour justifier les mesures de privatisations. Le permis de conduire ne se résume d’ailleurs désormais, dans les propos forts réducteurs de l’Administration et des journalistes, qu’à des questions de coût et de délais.
C’est en s’appuyant sur ce nouvel indicateur, donc sans recul, que le ministre Cazeneuve imposait dès 2014 des mesures destructrices, issues du groupe de travail sur les « délais » installé par le ministre Valls l’année précédente. Cette réforme a en effet confié au secteur privé des pans entiers de missions de service public, dont celle de l’examen du code de la route (ETG). Certaines catégories du permis de conduire, nouvellement créées, ont par ailleurs été directement confiées aux établissements d’enseignement de la conduite (EECSR).
Construite à la hâte, sans vision à moyen et long termes, et sans dispositif de contrôle adapté, cette réforme a généré des fraudes massives extrêmement graves en ETG, comme la vente de résultats favorables et de nombreuses usurpations d’identité. Elle a également entraîné l’effondrement des taux de réussite à l’examen du code de la route.
La vente pure et simple d’autorisations de conduite par des EECSR s’est développée, sans que les formations obligatoires correspondantes ne soient dispensées. On peut par exemple citer les attestations permettant de conduire des cyclomoteurs ou des quadricycles légers (voiturettes), essentiellement utilisés par des adolescents et des jeunes, déjà surreprésentés dans les accidents de la route, ou encore celles permettant la conduite d'une moto de 125cm3 avec le permis B.
Une baisse significative du niveau de connaissance des règles élémentaires de circulation a par ailleurs été observée. Les enseignants se voient donc désormais contraints de dispenser des cours théoriques individuels dans les véhicules, au tarif des leçons de conduite, ce qui augmente significativement le coût de la formation.
Cette situation est inédite dans l’histoire du permis de conduire. Avant cette réforme, tous les examens théoriques et pratiques du permis de conduire étaient assurés par des fonctionnaires d’État, les inspecteurs et délégués du permis de conduire et de la sécurité routière (IPCSR et DPCSR), experts en la matière et imperméables à toute forme de pression. La fraude constituait alors un épiphénomène, et les examens tiraient la formation vers le haut.
C’est dans ce contexte de fraudes massives que le ministre de l’Intérieur a décidé d’engager une « concertation », au sein de l’instance dédiée aux auto-écoles (Conseil supérieur de l’éducation routière), relative à « la mise en place d’un permis probatoire sur le modèle du permis belge » qui « permettrait aux écoles de conduite de délivrer une attestation autorisant temporairement à conduire, dans l’attente d’un examen ultérieur réalisé par un IPCSR ».
Alors que la Wallonie a modifié son système en 2018, précisément pour éradiquer la délivrance d’attestations de complaisance par les auto-écoles, il serait incompréhensible que la France emprunte le chemin inverse et amplifie les opérations frauduleuses sur son territoire, au détriment de la sécurité routière.
Parmi les mesures de 2014 qui ont détérioré le dispositif formation/évaluation, on trouve aussi la réforme du diplôme d’enseignant de la conduite. Les exploitants des auto-écoles l’avouent aujourd’hui, ils ne veulent plus recruter ces jeunes moniteurs parce que « leur formation est totalement inadaptée ».
Le recrutement de 100 inspecteurs évoqué par le ministre de l’Intérieur serait par ailleurs insuffisant, a fortiori parce qu’il s’étalerait sur quatre années, dont une « blanche » (2024).
Pour le SNICA-FO, le MI doit, dans l’intérêt de toutes les parties, faire enfin une vraie place en son sein au service public des examens du permis de conduire, et s’appuyer sur la neutralité et les compétences des IPCSR et DPCSR pour redonner toute sa fiabilité au dispositif, et éradiquer les comportements frauduleux qui le gangrènent.
Il pourrait, en outre, être choisi comme objectif de raccourcir les délais d’obtention du permis de conduire, par l’amélioration de la formation des conducteurs et celle des enseignants, plutôt que de tenter de réduire des « délais d’attente » et ne proposer ainsi aux usagers que de repasser leur examen x fois sans attendre. Des solutions pour ancrer durablement les savoir et savoir-être existent.
Des décisions de cet ordre présenteraient en outre l’avantage de tendre vers le nécessaire équilibre du triptyque « sensibilisation-éducation-répression », ce dernier volet étant le plus utilisé et le plus mal vécu par les automobilistes, a fortiori depuis qu’il atteint ses limites et peine à infléchir la courbe de l’accidentalité routière.
Les citoyens sont victimes de ces choix et la poursuite de la casse du service public des examens ne conduirait qu’à aggraver encore la situation.
Pour le SNICA-FO, la prochaine réforme du permis de conduire doit porter une vision d’avenir ambitieuse, pour nos jeunes, pour l’emploi, la mobilité et la sécurité de nos concitoyens sur les routes. Cela permettrait en outre une adhésion des français à la lutte contre l’insécurité routière, qu’ils ne voient aujourd’hui que sous l’angle répressif.
Nous nous tenons à votre disposition pour vous livrer les éléments qui fondent notre propos et vous apporter toutes les précisions qui vous sembleraient utiles.
Je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, l’expression de ma considération la plus distinguée.
Pascale MASET
Secrétaire générale